Témoignage de Monsieur Raymond GAFFET |
La Captivité, telle que je l’ai vécue (Juin 1940 / Septembre 1941) Le 20 Juin nous effectuons notre dernière étape avant notre capture. Nous tournons plutôt en rond, comme d’ailleurs les autres corps de troupe circulant dans la région, dans le même sens que nous, ou en sens inverse ! Nous passons à RAMBERVILLERS, GRANVILLERS, BRUYERES, GRANGES-sur-Vologne, car la route vers GERARDMER est coupée par les troupes allemandes. Nous finissons par installer l’état-major du Groupe à BARBEY-SEROUX, une petite commune à l’est de GRANGES-sur-Vologne. Il fait un temps superbe. C’est au petit matin de ce jour que notre commandant RENARD s’est suicidé. J’ai dit plus haut qu’il était très fragilisé par le déroulement de cette guerre et ne pouvait supporter l’idée de la défaite et de la captivité. De plus, nous étions à 10 Km à vol d’oiseau de SAINT-DIE, où il habitait. Après une nuit du 20 au 21 Juin plus calme que la précédente, le sommeil a été difficile ; nous sommes résignés. Je vais avec le capitaine LECHAT prendre les ordres du colonel BRETZNER. Celui-ci ordonne de faire sauter les pièces, pour les rendre inutilisables (à cet effet on enfourne dans le tube une charge normale, mais pas de projectile, on laisse la culasse entrouverte, on fait sauter la charge... la culasse est arrachée). Nous revêtons la tenue la plus susceptible de durer, j’ai mis mon uniforme neuf (celui avec lequel je me suis marié !), mis de bonnes chaussures, préparé mon épaisse cape de drap de l’armée, rangé dans un sac quelques objets jugés indispensables (on pense par exemple à la brosse à dents !), récupéré également des vivres (nous nous sommes partagés le solde de la popote) qui nous seront bien utiles pendant les quelques jours du voyage vers le camp. Nous rangeons bien consciencieusement le reste de nos affaires dans nos cantines. Quand les Allemands arriveront, ils nous diront de charger les cantines dans un camion, elles nous suivront jusqu’au camp... mais elles disparurent dès le lendemain, sans que nous en soyons vraiment étonnés ! Les Allemands se présentent en fin d’après-midi sous la forme d’un side-car (les Allemands utilisaient beaucoup cet engin) Toute résistance était évidemment inopportune et inutile étant donnée la situation de l’ensemble de notre IVème Armée prise à revers par l’ennemi. Le side-car nous dit (en bon français) de rester calmes et tranquilles, que le chef et quelques troupes vont arriver d’un instant à l’autre. Le chef (un officier subalterne quelconque) arrive effectivement et nous annonce que nous sommes prisonniers. On nous prie de prendre la route de CORCIEUX, vers le Nord-Est. On nous fait arrêter dans une prairie sur une hauteur (la carte Michelin signale en effet un sommet à 710m). Nous ne sommes pas les seuls, loin de là ! Nous y couchons à la belle étoile. Dans le grouillement de la nasse il était facile aux Allemands de faire beaucoup de prisonniers de toutes armes, et de tous grades. La vingtaine d’officiers du Groupe que nous sommes reste groupée, et nous le resterons jusqu’au camp, cela maintient mieux le moral. Le lendemain 22 Juin, nous partons en voitures (mais oui ! Les nôtres !) jusqu’à COLMAR, par CORCIEUX, FRAIZE, et le col du Bonhomme. Les habitants de Colmar nous réservent un accueil très chaleureux, par le geste et la parole, alors que les Vosgiens sont restés très froids. Cela nous remonte le moral. Après un petit arrêt à COLMAR, nous repartons, en camions cette fois, vers NEUFBRISACH. Il fait très chaud. On nous installe dans un petit pavillon d’habitation à l’intérieur d’une caserne. Nous partageons nos provisions pour dîner, et surtout nous retrouvons nos hommes... et des stocks alimentaires du Groupe. Nous ne reverrons plus jamais nos hommes ensuite. La journée du 23 Juin se passe dans le calme de ce camp de rassemblement de prisonniers, qui comprendrait au moins 30 000 hommes (?). Au hasard de ma promenade je rencontre le commandant KERRAND, qui commandait mon groupe au 107 à BELFORT, le capitaine SURE, le capitaine MARCHAND, avec qui j’avais travaillé aux « Renseignements » à BELFORT. Le lundi 24 Juin, matinée calme, nous déménageons à l’intérieur du camp. Nous, ce sont les 20 officiers du Groupe, plus le colonel BRETZNER et son adjoint le capitaine de RAVINEL, qui ont perdu les 1er et 2éme Groupes du 120 et sont heureux de nous rejoindre. Nous passons une 2ème nuit dans ce camp et nous nous demandons si ce ne sera pas notre point de chute définitif. Mais non ! Le 25, après une nuit et une matinée tranquilles, nous partons à pied vers VIEUX BRISACH, en Allemagne, de l’autre côté du Rhin, et dans l’après-midi on nous comprime dans de vieux wagons très inconfortables d’un train qui nous emmène à MAYENCE. Il fait très chaud, le voyage est pénible. Passage à KARLSRUHE, où on nous distribue un casse-croûte pour le dîner. Arrivée à MAYENCE le lendemain matin 26 Juin. Rassemblement à la citadelle. On nous donne des cartes à remplir (5 mots) pour rassurer nos familles. Déjeuner de fromage et de pain gris allemand (le pain qui nous sera distribué chaque jour au camp). L’après-midi on nous fait rassembler par carrés de 36, sous diverses pluies d’orages, et le soir on nous embarque dans un train de wagons de marchandises, où chaque carré de 36 est embarqué et entassé dans un de ces wagons bien connus « Hommes 40 - Chevaux 8 ». Le trajet durera toute la journée du 27, nous n’arriverons à destination que le 28 dans la matinée. Il fait très chaud, les 2 grands panneaux de fermeture du wagon sont fermés, il n’y a que 2 petites ouvertures pour aérer. Il y a souvent de petits arrêts pour laisser passer d’autres trains plus. « stratégiques ». On ne peut s’allonger, il faut essayer de dormir assis sur le plancher, serrés les uns contre les autres. Pour nos besoins naturels courants nous disposons heureusement d’une boite de conserves que l’on vide par les petites ouvertures. On nous sort de là-dedans 2 fois le 27, dont une pour satisfaire un autre besoin naturel plus compliqué donc tout le monde baisse culotte dans un champ bien gardé. Je n’ai jamais été aussi humilié ! Dans la journée, étant donné la chaleur, chacun vient s’aérer quelques instants devant les 2 petites ouvertures. Je ne me souviens plus si on nous a donné à manger, mais je n’ai pas souffert de la faim. A priori nous ne savions pas où nous allions, mais comme nous nous sommes arrêtés un peu en gare de KOTTBUS, certains en ont conclu que nous étions au sud de BERLIN, et en conséquence que nous nous dirigions vers l’est de l’Allemagne. Durant tous ces jours, et en particulier pendant le trajet ferroviaire de 36 heures, les officiers un peu âgés, tels le colonel BRETZNER (bien qu’installé dans une vraie voiture de voyageurs antédiluvienne en tant que colonel), ont été très fatigués. Il était temps que l’on arrive. Petite incidente concernant ce transport : les « déportés » ont été acheminés dans les mêmes conditions, d’après ce que j’ai su par la suite, mais je n’aurai pas l’outrecuidance de comparer avec ce qui s’est passé ensuite dans les camps des uns et des autres. Le vendredi 28 donc, une semaine après notre capture, nous arrivons en gare de WESTPHALENHOF, une toute petite gare à l’est de STETTIN, en Poméranie, ville appelée maintenant SZCZECIN car en POLOGNE, sur l’Oder, au Nord-Est de BERLIN. Tout le monde descend, tout le monde dit « ouf ! », tout le monde se dirige en rangs serrés à pied vers le camp OFLAG II D, à GROSS-BORN, assez près de la gare. Avant la guerre, ce camp d’officiers prisonniers était une toute petite partie d’un vaste camp d’entraînement de l’armée allemande. Il est entièrement bâti sur le sable, anciennes alluvions de l’estuaire de l’Oder sur la Baltique. Hormis les services, situés à l’extérieur du camp proprement dit, celui-ci couvre une surface de 11 hectares, et est constitué de 36 baraques en bois, bâties sur pilotis, au-dessus d’un vide sanitaire de 50 à 80 cm, réparties en 3 blocs. Chaque baraque comprend 4 chambres (stube), équipées chacune de 16 châlits en bois à 3 niveaux. Le mobilier de la chambre comporte en outre 2 tables rustiques et quelques tabourets. Il est donc prévu 48 occupants par chambre. Au total il semble qu’il y ait eu jusqu’à environ 6 000 officiers dans ce camp, arrivés entre le 20 Juin et la mi-Juillet. Mais après des libérations ou des mutations successives, il n’y en avait plus que 3 000 au bout de 2 ans, au moment de la liquidation du camp de GROSS-BORN. Ses occupants restants seront alors mutés à l’OFLAG IIB, à ARNSWALDE, camp en dur plus confortable, mais à la discipline plus stricte. Bien sûr ce paradis poméranien a été entouré d’une sérieuse clôture de barbelés, et de miradors installés aux points stratégiques. Néanmoins nous sommes satisfaits de la fin de ce voyage très éprouvant, nous allons nous reposer et vivre un peu plus normalement. Notre petit groupe du 120 a été affecté au Bloc II, baraque 2, chambre 4. Je prends possession du niveau inférieur d’un châlit, ce sera « ma chambre » pendant 15 mois, elle mesure 2 m de long, 70 cm de large, 80 cm de haut. J’y stockerai mes vêtements, mon barda, j’y installerai une ficelle pour faire sécher mon linge après ma lessive, j’y rangerai mes cahiers de classe, etc., et j’arriverai à bien dormir. On nous a distribué en arrivant une paillasse et une couverture. En plein hiver, je coucherai pas très déshabillé et je fixerai ma couverture autour de mes pieds avec une ceinture. Dans cette même chambre (stube 4) loge un autre groupe homogène, des officiers nettement âgés du 206ème régiment de je ne sais plus quoi, ayant presque tous fait une partie de la guerre précédente. Souvent malades et démoralisés, ils ne nous gênent pas trop et seront libérés en majorité au moment de la libération des Anciens Combattants 1914/18, ce qui nous donnera un peu plus d’aise dans la chambrée. Il y a au milieu de la chambre un poêle à bois, destiné en principe à réchauffer un peu la pièce en hiver, mais qui nous a bien servi également à faire de la cuisine. D’où venait le combustible ? De planches et autres résidus de bois trouvés dans le camp, mais surtout du bois mort ramassé par nous dans le bois voisin du camp, où l’on nous emmenait de temps en temps en promenade. Il y avait aussi les cageots vides de la cantine. Enfin, ultime ressource, des boules de papier mouillé et compressé à la main ! Le camp nous a attribué également un peu de combustible à l’automne. Je crois que le plus clair, pour relater mon « séjour » dans ce camp, est d’en décrire successivement l’organisation et les activités.
Organisation du camp Les rapports entre les prisonniers de guerre et leurs gardiens sont définis, en principe par la Convention de Genève, dont l’Allemagne et la France sont signataires, (mais pas l’URSS, ce qui explique la différence de régime et les exactions, qui ont pu nous choquer vis-à-vis des Russes). Il me semble que dans les grandes lignes le traitement prévu par cette Convention a été appliqué ; et je n’ai aucune réserve à faire à ce sujet (mais bien sûr nous ne sommes pas libres !). Par contre la France a cru bon de se déclarer elle-même puissance protectrice des Français prisonniers, au lieu que ce rôle soit assumé par une puissance neutre ; cela n’a peut-être pas été le plus heureux. D’autant plus que la France a désigné comme chef de cette mission un certain SCAPINI, homme politique modéré bien connu entre les 2 guerres,... mais aveugle de guerre ! Pour exercer ce rôle on aurait pu faire mieux. Le camp est commandé par un colonel allemand (Oberst), assisté de quelques officiers, sous-officiers, et soldats, tous en mauvaise forme physique et certainement bien contents de ne pas aller mourir à STALINGRAD ! Nous n’avons que très peu de contacts avec eux. Le premier colonel que nous avons connu avait par exemple un bras mort. Quelques officiers français assurent de leur côté, en liaison avec le commandant allemand le bon fonctionnement du camp : un officier supérieur par bloc, assisté de quelques officiers subalternes, dont surtout un interprète. Cette fonction d’intermédiaires n’a jamais été mal vue par les prisonniers, les intéressés n’ont jamais été traités de « collaborateurs » (dans le mauvais sens du terme comme cela aurait été le cas en France) ; ils étaient plutôt nos représentants que les représentants des Allemands. Pour certains cette position a même facilité leur évasion ! Le personnel allemand du camp assure directement la garde du camp et la censure des lettres et des colis. Il surveille d’autre part le fonctionnement des services assurés par des soldats français : la cuisine, la distribution des vivres, le nettoyage des chambres, les coiffeurs, les tailleurs (pour assurer l’entretien de nos vêtements courants, fatigués par des mois et des mois d’usage), les cordonniers. Il semble que ce contrôle ait été assez large. L’appel est une cérémonie quotidienne classique. Il a généralement lieu à 10 h 30, mais cela peut varier au gré des circonstances. Il y a même des jours sans appel, probablement en liaison avec l’emploi du temps du Colonel. Il y a parfois des contre-appels, rares, généralement causés par la découverte d’une évasion ; ils peuvent donc avoir lieu à toute heure du jour. L’appel a lieu successivement dans chacun des 3 blocs, dont on a fermé les portes de communication évidemment, pour éviter les substitutions ! Les officiers se rangent par chambres, en lignes de 5. Un gardien compte les présents et vérifie que leur nombre correspond aux inscrits. Comme le silence n’était pas de rigueur pendant ce comptage, on s’amusait à interpeller le gardien en lui soufflant des chiffres fantaisistes ; il s’y perdait bien sûr, et recommençait à compter ! Les compteurs rendent compte au Colonel du résultat de leur comptage. Le commandant français ordonnait un garde-à-vous que l’on observait avec nonchalance, le commandant allemand (par interprète interposé) et lui-même nous donnaient alors ordres ou informations. Le compte était pratiquement toujours bon, même après une évasion pas encore découverte car au premier appel après cette évasion (temps nécessaire pour que l’évadé soit déjà loin) l’évadé était remplacé au milieu des rangs par un mannequin. Les 3 blocs sont restés isolés, isolés entre eux et isolés de la cantine, pendant plusieurs semaines au début (cela semble explicable, nos gardiens voulant s’assurer, en nous séparant, de l’état d’esprit de leurs prisonniers), puis ils ont été largement ouverts, ce qui laissait plus d’espace et plus de variété pour la promenade, occupation essentielle au début. Ce qu’on appelle « cantine », était une vaste construction en bois, qui se présentait comme une grande salle de théâtre, avec scène et coulisses, d’un côté, un grand magasin de vente ou « cantine » de l’autre. Elle était équipée de tables et de bancs rustiques et solides (en nombre un peu faible toutefois, quand il y avait affluence pour une conférence, un concert, une représentation théâtrale, ou une cérémonie religieuse ; les prévoyants apportaient alors un tabouret de leur chambre. Encore un petit détail concernant notre vie quotidienne ; l’extinction des feux était fixée à 22 heures (d’ailleurs le courant électrique était tout simplement coupé). Je n’ai connu qu’une seule exception : le 31 décembre 40 cet arrêt de courant a été reporté à 0 h 30.
L’information 1 - Le bulletin d’information officiel par radio La vie du camp était animée entre autres par le bulletin d’information donné (en allemand bien sûr) par hauts parleurs, vers 19 heures 30 tous les soirs. Bien sûr il s’agissait essentiellement des nouvelles de la guerre : victoires de l’armée allemande, vraies ou hypothétiques, des défaites des Anglais et des Russes, vraies ou imaginées ! C’est ainsi que nous avons appris avec rage la destruction de la flotte française par les Anglais à MERS-EL-KEBIR, événement qui a donné lieu sur le moment à un très fort mouvement d’opinion anti-Anglais. 2 - La presse du camp : « Ecrit sur le sable » En Mars 41 commence à paraître une petite revue, rédigée par nos camarades, intitulée « Ecrit sur le sable », en référence au sol de notre camp. Elle paraît tous les mois, relate les petits événements du camp, annonce les spectacles du mois à venir, comporte des petites annonces... Evidemment les Allemands y étaient favorables, moyennant censure, et mettaient à la disposition des éditeurs le matériel nécessaire. Je n’ai eu aucune critique à faire à ce travail, qui participait au maintien du moral. Climat Je dois dire un mot du climat, rigoureux dans cette partie septentrionale de l’Allemagne et de la Pologne. Quand nous sommes arrivés, en juillet, il a fait très chaud, il ne pleuvait pas, nous portions le minimum de vêtements, nous nous douchions volontiers à l’eau froide. Mais dès le mois d’août il y eut des journées fraîches et pluvieuses, le froid s’est installé progressivement ; en décembre il a souvent gelé jusqu’à -10°. Pendant l’hiver 40/41 il a fait très froid , nous n’avons pas été épargnés ; il a fait jusqu’à -30°, ce qui ne m’a pas empêché de faire de la gymnastique dehors à 7 h 30 du matin ! Les Allemands nous ont distribué du charbon fin novembre, pour les poêles de nos chambres. L’été 41 a été moins chaud que l’été 40, qui avait été particulièrement favorable aux Allemands pour leur campagne de France.
La Cantine La Cantine, c’est un ensemble de services, si je puis dire ; c’est d’abord, au sens propre, une sorte de magasin d’articles divers. Mais c’est aussi un grand bâtiment en bois jouant le rôle de salle de spectacles dont nous reparlerons à propos des spectacles de théâtre. C’est enfin une salle de jeux, de rencontre, de repos, en particulier en hiver. Interdite au début, elle nous a été ouverte en même temps qu’ont été ouvertes les portes entre blocs (mais avec fermetures générales provisoires de toutes les portes quand nos gardiens n’étaient pas contents de nous). La cantine-magasin nous a rendu de grands services. Ouverte en même temps que les 3 blocs entre eux, elle nous proposait des articles de qualité quelconque, mais peu importe ! Nécessité fait loi ! Il s’agissait souvent d’ersatz, spécialité de l’Allemagne de cette époque. Nous y trouvions donc ; des articles de toilette des fournitures scolaires si mes souvenirs sont exacts, des cigarettes ( polonaises) de très mauvaise qualité, des vivres frais, en petite quantité. La cantine a fait l’objet de « bobards » éblouissants. Fin octobre 40 le cantinier disparaissait et était remplacé. Conclusion : le cantinier était en prison pour cause de malversations et de trafics avec les prisonniers. Quelques jours plus tard, il était condamné à 5 ans de prison. Début novembre il avait été éxécuté à la hache ! I1 faut dire que cette méthode avait parfois été utilisée sous le IIIème Reich. Un tel approvisionnement, c’est très joli, mais comment payer ? Nos francs n’étaient évidemment pas valables ; des marks non plus car nous étions censés ne pas en posséder. La seule devise acceptée était le « Lagermark », mark de camp spécifique à l’Oflag IID. Nous n’en avions pas reçu à notre arrivée bien entendu ; mais à la mi juillet je crois on nous en a distribué... en rapport avec l’ouverture de la cantine bien entendu ! Matériellement c’était des tickets quelconques, grossièrement imprimés. Notre traitement normal d’officiers était versé intégralement à nos familles en France (délégation de solde) ; je suppose que le gouvernement français versait à l’Allemagne la contrepartie des Lagermarks. Ceux-ci nous ont été régulièrement distribués, je ne sais plus suivant quels critères (méchamment je dirais que la masse des Lagermarks était égale au chiffre d’affaires prévu par le cantinier !).
Service Sanitaire - Hygiène Les Allemands avaient une peur bleue du typhus (exanthématique), maladie extrêmement contagieuse qui se transmet par les poux. Je pense que la proximité de l’URSS pouvait être la cause de cette hantise. J’ai dit plus haut que les Allemands avaient traité durement les prisonniers russes du camp voisin du nôtre. En dehors du fait que l’URSS n’adhérait pas à la Convention de Genève, je crois qu’il faut reconnaître que le soldat soviétique de l’époque se présentait un peu comme un sauvage, en tous cas sans comparaison avec l’homme dit civilisé de l’Europe occidentale ; je puis en témoigner personnellement, mais dans des circonstances très différentes. En effet pendant la guerre j’ai occupé dans la fosse que je dirigeais des prisonniers russes envoyés par les Allemands, puis après la guerre des prisonniers allemands ; même en excluant les manières de travailler et le rendement lamentable des Russes, ils avaient des modes de vie arriérées qui nous laissaient pantois ! Cela ne justifie peut-être pas, mais cela explique, le mépris du soldat allemand pour le soldat russe. C’est pourquoi dès notre arrivée, dans les tout premiers jours de juillet, les coiffeurs nous ont tous coupé les cheveux à ras. Je me suis plié sans difficulté à cette mesure tout au long de mon séjour au camp et suis souvent retourné voir le coiffeur. Quand j’ai été libéré, fin septembre 41, je venais de me faire tondre une fois de plus, d’où la surprise de mes proches à mon retour. Il y eut une séance du même genre, l’épouillage, le 20 septembre, où tout le corps et les vêtements étaient traités. Lors de la capture des troupes françaises en juin 40, il y eut évidemment du personnel de santé dans la masse. Il serait arrivé 65 médecins, pharmaciens, et dentistes à l’OFLAG IID . La plupart ont été libérés assez vite, il ne restait quelques semaines plus tard que 3 ou 4 médecins, 1 pharmacien et 1 dentiste. L’état sanitaire général des prisonniers est resté bon à l’OFLAG IID, mis à part quelques dérangements intestinaux dus au changement de nourriture. Peut-être notre camp situé en pleine nature dans les sables et les bois poméraniens, était-il par là même préservé de toute contagion de l’extérieur ? Pour mon compte je ne suis jamais allé à l’infirmerie. Je crois qu’il était dans le programme des visiteurs de la Croix-Rouge de s’assurer de la qualité de l’hygiène dans les camps. Nous n’avons jamais eu de contact avec ceux-ci, mais ils sont peut-être venus. Sur le plan hygiène, on peut dire que les installations pour la toilette quotidienne étaient acceptables ; des rampes de robinets d’eau froide (tiède en hiver), des douches à l’eau froide en été, chaude en hiver (à partir du 20 novembre 40). Ces installations étaient en nombre insuffisant pour que tout le monde s’en serve en même temps, mais rien n’empêchait de se laver tout au long de la journée ! Des articles de toilette étaient en vente à la cantine, mais je préférais les envois de Marie-Jeanne. Si la plupart d’entre nous se lavaient, il y en avait aussi qui ne se lavaient pas ! Cela arrive dans toute collectivité. Ici le moral des prisonniers pouvait être à l’origine de telles défaillances. J’ai par exemple connu au camp un certain... de CHAMBERY. Marie-Jeanne connaissait un peu sa femme. La séparation lui pesait énormément, ... il était extrêmement crasseux ! Ce que l’on appelle « les toilettes » était très sommaire, mais assez bien tenu. Cela ne m’a pas vraiment gêné ; disons que la solitude dans ces lieux n’était pas la règle. Cela me rappelle que lors de mes voyages dans le monde gréco-latin, j’ai vu une fois (mais où ?) dans des ruines urbaines une rangée de 20 à 30 « lunettes » côte à côte destinées à cette nécessaire fonction quotidienne.
Vie personnelle des prisonniers - Etat d’esprit 1 - Au début tout le monde était un peu hébété par la situation ; on n’avait rien d’autre à faire que de tourner en rond dans son bloc entre des haies de barbelés. On parlait beaucoup. On se racontait les conditions de sa capture, on évaluait les erreurs de la politique française pendant l’entre-deux guerres et les insuffisances récentes du commandement. Il y avait un sentiment anti-Anglais assez prononcé, alimenté par les officiers, nombreux ici, qui avaient collaboré avec les Anglais dans le Nord de la France, et qui avaient vu ceux-ci se rembarquer à DUNKERQUE pour retourner en ANGLETERRE au moment de la débâcle, laissant dans le marasme leurs alliés Français, au besoin leur interdisant même l’accès à leurs embarcations. Ce sentiment s’est encore accru au moment de Mers El Kébir. Certains pensaient même que la France et l’Allemagne allaient s’allier pour combattre l’ANGLETERRE. On allait jusqu’à prophétiser une libération rapide pour reprendre le combat contre les Anglais. Cruelle illusion ! Quand l’Allemagne attaqua l’URSS en 1941 tout le monde comprit qu’elle s’était engagée dans une aventure inextricable, qui lui serait probablement fatale. 2 - Et mon état d’esprit à moi ? Les tout premiers jours j’étais un peu hébété moi aussi ; d’un côté j’étais à peu près rassuré sur les conditions matérielles d’une vie monotone acceptable, de l’autre je réalisais que j’allais perdre pendant un temps indéterminé la fin de mes années de jeunesse (j’avais alors 26 ans) et de bonheur tout neuf avec Marie-Jeanne. Puis un fort sentiment de désespoir, de révolte, est né : une fois de plus je retombais donc dans le marasme, j’avais beaucoup de mal à supporter cette prison. M’en sortirais-je donc un jour ? Question que je m’étais souvent posée les années précédentes, dans les situations pénibles où je me trouvais. Ne fallait-il pas en finir une fois pour toutes ? J’envisageais de mêler la gloriole et la mort ; essayer de m’enfuir bêtement et me faire tirer dessus. Penser à Marie-Jeanne, à l’enfant que nous avions conçu, être entouré par la gentillesse de mes camarades du Groupe, en particulier Jean SIMONET qui m’a beaucoup sermonné m’ont ramené vers un projet plus chargé d’espérance ? Oui, il y a eu un véritable projet, un véritable programme, je ne me suis pas seulement laisser porter ; participer à fond à toutes les activités naissantes du camp, intellectuelles, religieuses, physiques. Ne plus penser à ma seule petite personne mais tout faire pour que mes tout proches me retrouvent en bonne forme en tout à la fin de ma captivité. On va voir comment j’ai réussi.
Vie religieuse Au début de notre séjour à GROSSBORN il y avait beaucoup de prêtres, de religieux, ou de séminaristes. On en a recensé plus de 200 ! Parmi eux il y avait seulement une douzaine d’aumôniers militaires ; protégés par la Convention de Genève, ils ont été automatiquement libérés, mais en janvier 41 seulement. Les autres étaient occupés dans l’armée comme infirmiers ou même comme combattants. Au bloc 1 nous avons eu la chance d’avoir 2 religieux remarquables : le Père André SORTAIS, abbé de la Trappe de BELLEFONTAINE (dans les Vosges ?), qui s’est acquis très rapidement dans le bloc un ascendant extraordinaire. Il y avait aussi l’abbé SOCHAL, qui avait en outre un talent remarquable de metteur en scène, et qui à ce titre nous a donné des spectacles parfaits. Ils nous donnèrent aussi l’un et l’autre quelques excellentes causeries. Comme il est fréquent en cas de malheur ou de catastrophe, la foi religieuse de mes camarades s’est réveillée dans ces circonstances et l’assistance était nombreuse aux offices religieux. Dès le dimanche 30 Juin, soit 2 jours après notre arrivée, était célébrée en plein air au bloc II une messe très fréquentée. Les messes dominicales ont été célébrées à l’extérieur tant qu’il a fait beau, puis à la cantine. Nous avons eu une messe de Noël extraordinaire à la Noël 40, messe pontificale célébrée par le Père SORTAIS (abbé mitré), avec mitre et crosse confectionnés au camp. Il y avait bien entendu une chorale très étoffée, et de qualité. Si les aumôniers militaires ont un peu tardé à être libérés, beaucoup des autres prêtres ont été mutés dès Octobre 40 dans un autre camp. Pour ma part j’ai toujours assisté au camp aux messes dominicales (sauf pendant ma période de déprime en Juillet 40). Ce fut pour moi l’occasion d’un renouveau, la pratique m’a apporté un solide réconfort moral. La messe du 15 Août 40 avait été précédée d’une retraite de 3 jours à laquelle j’ai participé. J’ai noté avoir communié le 15 Août, et très souvent les dimanches suivants, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps (attention : à cette époque, si la fréquentation à la messe dominicale était beaucoup plus élevée que maintenant, par contre la pratique de la communion était beaucoup moins répandue). Bien entendu la famille protestante était également très active (je crois qu’il y avait au bloc II un pasteur éminent). Par contre les juifs se sont abstenus de toute pratique, ils s’étaient déclarés « sans religion » à l’interrogatoire d’identité à l’entrée au camp.
Alimentation A mon avis, l’alimentation des prisonniers était le point le plus faible du camp. Mais je crois juste de reconnaître que la population civile allemande n’était elle-même pas très favorisée. Dans les années 30 il était courant en France de se moquer des Allemands, qui se nourrissaient d’ersatz » de beurre, de viande, de pain, bref de tout ! Ceci pour vivre en autarcie et ainsi « fabriquer des canons ». Mais nos politiciens aveugles n’en ont tiré aucune conclusion. Le paysan pauvre poméranien ne devait de toutes façons pas se nourrir beaucoup mieux que nous. Il y avait aux cuisines des cuistots français plus ou moins qualifiés, encadrés bien sûr par des Allemands. Mais les cuisines étaient extérieures au camp et nous n’avions aucun contact avec ce personnel. La distribution principale d’aliments avait lieu après l’appel, donc vers 11 h/ 11 h 30. Ce n’était pas très appétissant ; tous les jours des pommes de terre cuites à l’eau et une soupe souvent indéfinissable ; orge, gruau, pommes de terre, parfois de petits morceaux de viande ; en alternance ;des rutabagas, de grosse saucisses remplies d’une viande hachée indéfinissable (excusez ce terme familier, on n’a jamais appelé ces saucisses que des « pines d’ours »), du miel, artificiel bien sûr, de la marmelade de fruits indéfinissables, beaucoup de graisse (espèce de saindoux dont nous avons fait des tartines au début, mais qui ensuite nous a servi à faire de la cuisine), rarement des légumes verts . Non ! Ce n `était pas un régal. D’autre part il y avait dans le courant de l’après-midi une distribution dite « casse¬croûte », c’est à ce moment-là qu’on nous distribuait la ration quotidienne de pain ( 320 gr/jour. C’était nettement trop, il y avait beaucoup de gaspillage ). Pour les fumeurs, nous avions droit à des cigarettes polonaises absolument infâmes, mais je ne me souviens plus si on nous les donnait ou si on nous les vendait à la cantine. Le vrai repas convenable c’était donc le dîner du soir, pris vers 18 h/18 h 30 étant donné les horaires des activités intellectuelles collectives. L’organisation a mis quelques mois à se mettre au point, car il y avait 2 matières premières indispensables ; du combustible pour le poële de la chambre utilisé comme cuisinière, les colis. Quand ce fut au point, nous fîmes des dîners très acceptables, utilisant graisse et pommes de terre du camp pour faire des pommes de terre sautées, et surtout les aliments envoyés par nos familles. Notre groupe constituait une popote bien entendu. Outre les articles personnels, nos familles nous envoyaient des vivres très appréciés ; boites de conserves de viande ou de légumes, chocolat, confitures, sucre, biscuits, pain d’épices ,....On en mettait une partie à la disposition de la popote, d’où d’excellents dîners . Nous étions tous cuisiniers à tour de rôle. Si mes souvenirs sont exacts, j’étais le popotier (comme à l’état-major du groupe pendant la guerre, et pour cette raison). Au début de l’après-midi je définissais avec les cuisiniers du jour le menu du dîner, puis je n’intervenais plus. Finalement nous avons pu nous nourrir acceptablement (c’est-à-dire mal pour le déjeuner, bien pour le dîner). J’en ai profité pour grossir, mais aussi pour bénéficier d’une grosse éruption de furonculose quelques mois après mon retour. Je ne serais pas complet si je ne mentionnais les « biscuits Pétain », biscuits dits vitaminés acheminés par la Croix-Rouge.. Ces biscuits étaient bons, et constituaient un complément appréciable. En tous cas ils nous apportaient la preuve que le gouvernement français ne nous oubliait pas. On en mangeait à tout moment de la journée (un petit creux !). Certains cuisiniers les écrasaient pour constituer la matière première de gâteaux valables. J’ai seulement regretté que ces colis n’arrivent qu’à partir de la mi-novembre 40. En outre, la veille de Noël nous avons reçu des colis Pétain somptueux (sucre, biscuits, confitures, compote de pommes, dattes, lait, beurre, charcuterie, gruyère, ...savonnettes), grâce auxquels nous avons pu bénéficier d’un repas excellent ce jour-là.
Vie intellectuelle et distractions Cours de langues Des cours de langues se sont très rapidement mis en place A/ Allemand A tout seigneur tout honneur dans un camp de prisonniers français en Allemagne : j’ai suivi des cours de langue allemande donnés par un officier alsacien, le lieutenant SCHWARZ, peu suspect, je crois, de « collaboration ».L’étude de cette langue à l’Ecole des Mines avait été très superficielle. J’ai pensé que le cadre du camp serait plus favorable. Dès le 5 Juillet les cours de 1 heure ont commencé : jusqu’à fin décembre 40 j’ai suivi ainsi plus de 75 cours, purement oraux puisque sans grammaire ni dictionnaire, j’ai certainement continué en 41. Le résultat est assez pitoyable, je suis revenu de captivité presque aussi nul qu’à l’arrivée. B/ Italien Pourquoi ne pas faire un peu d’italien puisque l’occasion se présente avec le lieutenant GARAGNANI. Il y a eu 9 cours, puis le professeur n’a pas poursuivi, je ne sais d’ailleurs pas ce qu’il est devenu ? Donc résultat nul. C/ Espagnol. Et pourquoi ne pas faire aussi un peu d’espagnol, pourquoi ne pas me perfectionner dans cette langue qui m’est plus familière ? Un professeur se présentant, j’ai suivi 20 cours, ...et puis le professeur a disparu lui aussi !
Les Conférences
L’intention d’origine de l’organisateur de conférences était d’arracher les prisonniers au désespoir de l’inaction, en leur proposant des distractions d’une certaine qualité intellectuelle, essentiellement des conférences faciles, et cela dès les premiers jours de la captivité, avant même l’arrivée des premiers colis et des premières lettres. Ces conférences étaient données à la cantine. Assez hétéroclites au début, elles évoluèrent vers des activités régulières, en un mot vers l’Université de GROSSBORN Voici les sujets de quelques-unes de ces conférences, classées par catégories, auxquelles j’ai assisté, jusqu’à fin 40.
L’éventail des sujets traités était donc très ouvert, calqué sur l’éventail des professions des prisonniers (y compris le curé apiculteur !). Chacun faisait un effort pour parler de son métier et ainsi distraire ses camarades du camp. De juillet à décembre 40, j’ai entendu ainsi plus de 100 conférences, et il y en a auxquelles je n’ai pas assisté. Bien entendu cette activité s’est poursuivie en 41, mais je n’ai pas gardé trace de mes activités cette année-là
L’Université
Ces conférences un peu hétéroclites se disciplinèrent et évoluèrent vers des cycles de conférences homogènes, assimilables à de véritables cours donnés par de véritables professionnels.
Encore une petite marche à franchir, et nous voilà à l’Université de GROSSBORN, mise sur pieds par les commandants RIVAIN et BATICLE, recteurs, grâce à un corps professionnel très bien fourni et à l’accord du Ministère français de l’Instruction Publique. Celui-ci avait donné son accord pour valider après le retour en France les résultats obtenus par les élèves et les diplômes attribués. Une des raisons du développement de ces activités intellectuelles durables était la perspective d’une captivité longue. L’espoir fugitif et déraisonnable d’une libération rapide s’effondrait de jour en jour. C’est ainsi que se créèrent 3 Facultés : droit, lettres, sciences. A la faculté de droit il y avait 29 professeurs assistés de 10 docteurs en droit, et d’avocats ; Mais je n’ai jamais eu aucun rapport avec cette faculté La faculté des sciences vit ensuite le jour, avec 7 ou 8 agrégés et plusieurs docteurs ès sciences. C’est à elle que j’ai eu affaire, décidant début 41, au moment de la création de ce cours,de suivre un cours de Math pour préparer le certificat de Math Géné. Ce certificat plus un autre dont je ne me souviens plus le titre, m’aurait permis d’obtenir, avec mon diplômede l’Ecole des Mines, la licence de Math J’ai donc suivi toute une série de cours en 41, mais le cycle a été interrompu par ma libération. Et alors adieu le certificat ! Adieu la licence ! Enfin la faculté des lettres fut la dernière à être créée, avec 12 agrégés. Toutes disciplines confondues, cela faisait 40 anciens élèves de Normale Sup. Je crois que notre Oflag a été le plus en flèche de tous les camps d’officiers prisonniers dans le fonctionnement de son Université. Je crois qu’au début 41 il y avait plus de 150 élèves inscrits en Lettres, plus de 200 en Droit, et plus de 150 en Sciences. Les validations promises par le Ministère français n’ont pas été totalement accordées, surtout à cause du désordre invraisemblable qui s’est instauré en Mai 45. Mais il y a eu des sessions de rattrapage accéléré qui ont permis aux intéressés de ne pas avoir perdu totalement leur temps.
Les soirées récréatives Parallèlement aux conférences ont été organisées des soirées récréatives pour nous distraire, dès la fin juillet 40. Elles étaient présentées par bloc, ce qui assurait une certaine diversité puisqu’il y avait 3 blocs. Mais elles avaient un aspect « soirées de patronage » , dans le mauvais sens du terme, autrement dit elles apportaient un peu de nouveauté et de distraction, mais de faible qualité. Il s’est vite créé des chorales, on a dit des monologues, des sketches, imité des acteurs ou des chansonniers, chaque bloc ayant ses spécialistes. Le genre a vite été supplanté par le théâtre, et dès la fin 40 de telles soirées n’avaient plus lieu.
Le théâtre Le théâtre a tenu une grande place dans les activités ludiques du camp. Nous avions la très grande chance de bénéficier d’une salle de spectacle, la cantine, parfaitement équipée. Il ne faut pas oublier en effet qu’avant de devenir un camp de prisonniers GROSSBORN était un camp d’entraînement de la jeunesse hitlérienne et qu’à ce titre il avait été doté d’une grande salle de spectacle pour la propagande, avec équipement de scène complet. La cantine était donc utilisée à tour de rôle par chaque bloc, qui avait créé sa troupe de théâtre. Chaque spectacle était donné plusieurs soirs de suite : 1 soirée par bloc_ 1 pour la compagnie des ordonnances français. Nous avons eu aussi la très grande chance de bénéficier d’excellents metteurs en scène, tels que l’abbé SOCHAL au bloc 2 Un problème essentiel pour ceux-ci était celui des rôles féminins. Dans chaque bloc de jeunes officiers sont parvenus à tenir ces rôles avec beaucoup de naturel et de talent. Pour le bloc 2 je pense en particulier à DEBIA. Les scènes d’amour, les baisers voluptueux n’étaient pas faciles à réaliser et SOCHAL dut mettre tout son talent pour engager les intéressés à s’abandonner à leurs partenaires ! Un certain délai était évidemment nécessaire pour tout mettre en place et préparer un spectacle (décors, costumes, répétitions). La première pièce n’a été donnée qu’en janvier4l : « Le barbier de Séville », puis « Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche » de Jules Romains « Dulcinée » de Gaston Baty, « Le petit café » de Tristan Bernard, « Deux couverts » de Sacha Guitry, « Chotard et Compagnie », etc. En mentionnant ces spectacles je me rends compte que le temps a passé, que ces titres et ces auteurs ne rappellent pas grand’chose à mes petits-enfants, mais sachez que ces pièces ont enchanté mes 20 ans !
Musique Une explosion artistique qui démarra très tôt au camp fut celle de la musique. Ce furent d’abord des chorales créées par des maîtres de chapelle pour animer les messes, puis leur répertoire s’élargit, participant par exemple aux soirées récréatives. Chaque bloc avait sa chorale La musique instrumentale a pu démarrer assez vite également grâce à la présence à la cantine d’un piano Puis les intéressés purent s’équiper petit à petit d »instruments et de partitions, grâce aux envois des familles d’une part, aux achats locaux et aux locations d’autre part, facilités par les Allemands Je n’ai connu que des concerts donnés par des solistes ou par des formations de musique de chambre, mais après mon départ on a pu entendre un véritable orchestre symphonique de 60 exécutants. Parmi les musiciens de valeur il faut citer VERDEAU et CHALINE. Les concerts avaient lieu à la cantine bien entendu, par blocs. Les Allemands de tous grades n’étaient pas les derniers intéressés Dès la fin juillet 40 nous avons eu un récital de piano par CHALINE,en septembre et en octobre des récitals de piano par VERDEAU, un récital de violon en octobre, en avril 41 un concert symphonique classique, en juin de la musique de chambre, en juillet un concert de musique légère. Je me souviens, quand j’étais à la cantine pendant l’hiver 40/41 des échos qui nous parvenaient de derrière le rideau de scène ; la sonate de César Franck, dont les accents ne m’ont jamais quitté depuis !
Cours de gymnastique Ce n’est pas une activité intellectuelle comme les précédentes, mais puisque cette discipline fait partie des programmes de notre Education Nationale, pourquoi ne pas la placer ici ? Les mois passaient. L’armée allemande n’arrivait pas à conclure, ni les Alliés d’ailleurs .Le conflit semblait devoir durer. Je me suis dit que la fin de la guerre, et surtout la fin de notre captivité risquaient de se réaliser dans le plus grand désordre, qu’en conséquence il fallait que je conserve la meilleure forme physique possible. D’où ma participation à des cours de gymnastique réguliers pendant de nombreux mois, en particulier pendant l’hiver 40/41, si rigoureux. Même quand il faisait -30 à l’Oflag la nuit, j’allais participer à 7 heures du matin aux cours, qui avaient lieu partie à la cantine, et partie dehors ! Je crois que ce fut courageux, mais cela faisait partie de mon « projet ».Je l’ai fait avec la ferme volonté de me durcir en vue d’une fin de captivité physiquement difficile. Heureusement je n’ai pas vécu cela puisque j’ai été libéré bien avant la fin générale de la captivité, mais cette bonne forme physique m’a probablement aidé à démarrer ma vie professionnelle au fond de la mine.
Jeux divers Pour combler le temps, rien de tel que les cartes ! Les jeux sont assez vite apparus. Mis à part les jeux que j’ignorais, je me suis assez vite mis à la belote et au bridge. La belote n’exigeait pas un gros effort intellectuel, le bridge non plus à vrai dire, car les méthodes d’annonces et de jeu de la carte étaient assez rudimentaires par rapport à ce qu’elles sont devenues 60 ans plus tard ! Je jouais donc avec des camarades du 120, ou dans le cadre des occupants de la chambre. Cela se passait parfois dans la chambre, mais le plus souvent à la cantine, beaucoup plus confortable (chauffage en hiver). Je n’étais pas un champion, loin de là, mais cela faisait passer le temps. Quand j’ai été accaparé par de multiples cours, conférences ou spectacles, j’ai beaucoup ralenti cette activité.
Réunions de groupes professionnels Comme il est naturel, des groupes se formèrent de prisonniers de la même province, de la même Grande Ecole, ou de la même profession, en vue d’échanges d’informations, d’un soutien matériel ou moral. C’est ainsi que se forma le groupe des mineurs de charbon des anciens des Ecoles des Mines de Paris et de Saint-Etienne. Il se réunit au moins une fois par mois. Un des sujets essentiels d’informations concernait nos supputations concernant une libération éventuelle. Ce sujet n’était pas tellement irréaliste, puisque nous avons effectivement été mis en « congé de captivité » fin septembre 41.C’est dans ce cadre que j’ai fait la connaissance de PINSARD, EMPOUY, et BOCA, qui travaillaient déjà aux Mines de Courrières, alors que je ne m’y étais pas encore présenté. Ces rencontres avec des Anciens, déjà entrés dans la profession des mineurs de charbon, m’ont certainement fait du bien.
Les bonnes surprises de la vie quotidienne. Quand le chef de chambre distribue le courrier, quand il vous annonce que vous pourrez aller tout à l’heure chercher un colis, on sent les siens tout proches, et cela vous remonte le moral. Quelle bonne surprise que l’annonce de la promenade dans les bois voisins ! Comment va-t-on s’équiper ? Comment va-t-on transporter le bois mort ramassé pour alimenter le poêle ? Et une fois passée la porte du camp, on a une bienfaisante impression de liberté. Plus de barbelés, plus de promenade en rond à l’intérieur du bloc ! Quelles bonnes surprises aussi que les annonces de libérations partielles concernant telles ou telles catégories de prisonniers ! On se dit qu’on pourrait bien aussi être un jour classé dans une catégorie favorable ; pourquoi pas ? Cela vous donne de l’espoir. C’est ainsi que je me suis bercé d’illusions concernant la catégorie « Pupilles de la nation ». Par contre je n’ai jamais beaucoup cru à la catégorie « Mineurs du fond », et l’annonce de mon rapatriement a été une véritable surprise.’ Quand le bruit court d’une évasion, c’est aussi la surprise bien sûr, car on n’était pas au courant du projet, mais elle est d’un autre ordre. Aurait-on imaginé soi-même un tel projet ? Les évadés doivent se retrouver maintenant dans l’univers de la vie courante... s’ils n’ont pas déjà été repris !
Lettres et colis Après la petite carte envoyée de MAYENCE informant en 5 mots nos familles de notre situation, celles-ci ont eu le droit à leur tour de nous envoyer une carte très brève pour nous rassurer à leur sujet. Puis a été instauré le régime postal courant des cartes ou des lettres sur imprimés spécifiques et en nombre limité (avec des restrictions provisoires si nous n’étions pas sages, c’est-à¬dire si une évasion avait eu lieu), auxquelles nos familles nous répondaient également sur imprimés ad hoc. La surface de ces modes de correspondance étant limitée, il fallait, pour en écrire le plus possible, écrire d’une écriture la plus fine possible. Cette correspondance était vérifiée, au départ comme à l’arrivée, par la censure, qui apposait ensuite un tampon « gepruft » sur les documents contrôlés Après des délais vraiment longs au début (la première lettre de Marie-Jeanne m’est parvenue le 31 Août), le courrier arrivait en temps normal avec un délai de 8 à 10 jours : c’est ainsi que j’ai appris le 21 novembre la naissance de Jacques ( 11 novembre). Nos familles avaient également le droit de nous envoyer des colis, avec des étiquettes ad hoc limitatives. Il me semble que ces colis n’ont que rarement pu dépasser le poids de 1 kg, mais leur fréquence est devenue suffisante pour nous apporter des compléments de nourriture substantiels. J’en ai par exemple reçu 6 en septembre 40, 9 en octobre, 15 en novembre, 10 en décembre, envoyés par Marie-Jeanne ou autres proches. Les colis étaient comme les lettres supervisés par la censure, qui les ouvrait bien sûr, devant vous, pour vérifier qu’ils ne contenaient pas d’objets prohibés. Ce service était parfois de mauvaise humeur, par exemple à la suite d’une évasion. Les préposés éventraient alors grossièrement les colis, mélangeant à plaisir petits pois et confitures ! La partie alimentaire de ces colis était plus ou moins mise en commun dans le cadre de la popote ( pour moi le groupe du 120), ce qui nous valait des dîners très convenables et variés, après le déjeuner « 100% oflag ».
Promenades et bains Mes souvenirs à ce sujet sont particulièrement vagues, mais mon petit carnet de souvenirs est par contre très explicite . Le camp était environné de bois (de sapins bien entendu). Dans ces bois il y avait un étang, avec possibilité de baignade. Nos gardiens nous emmenaient de temps en temps y faire une promenade de 1 h 30, parfois avec bain dans l’étang. De toutes façons nous en ramenions toujours un stock de bois mort pour alimenter notre poêle de chambre. Les promenades étaient une occasion d’ évasion, bien sûr. Pour cette raison nos gardiens les ont parfois suspendues, mais jamais supprimées totalement Je me suis ainsi promené 1 ou 2 fois par mois en 40. A cette occasion on revêtait une tenue plus digne qu’à l’intérieur du camp. Cela nous changeait d’horizon. Je n’ai jamais autant apprécié les promenades en forêt !
Libérations partielles et mutations de prisonniers Libérations partielles et mutations de prisonniers étaient des évènements qui donnaient lieu à beaucoup de commentaires bien entendu. Ils suscitaient l’espoir de ceux qui n’étaient pas encore concernés (à quand mon tour ?). Les aspirants étaient considérés comme des officiers dans l’armée française, mais comme des sous-officiers dans l’année allemande. C’est ainsi que début septembre 40 notre aspirant BOUTEILLER nous a quittés pour un camp de regroupement d’aspirants à STARGARD. Un dîner spécial d’adieu a eu lieu, avec la présence du Colonel BRETZNER, pour lui souhaiter bonne chance Début septembre également on a muté dans un camp plus confortable les officiers âgés ou malades. Comme nos collègues du 206 de notre chambre étaient en grande partie dans ce cas, plusieurs nous ont alors quittés, ce qui a permis de dégager de la place et d’éliminer 3 châlits. Nous ne sommes alors restés que 32 dans la chambre, au lieu de 48, d’où une augmentation considérable du confort Fin novembre 40 ont été libérés des Alsaciens, plus ou moins volontaires pour se ranger aux côtés des Allemands. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus (engagement dans l’armée allemande ?), de toutes façons nous n’en avions pas dans notre chambre. Quant à mon professeur d’allemand, il n’a pas pris ce parti et est resté au camp. Sont partis aussi cet automne quelques grands malades, dont notre colonel BRETZNER. D’après mes souvenirs, tous les officiers de réserve Anciens Combattants de 14/18 auraient également été libérés, mais je n’en trouve pas trace dans un document officiel, sauf pour ceux qui étaient malades. Quant aux officiers d’active Anciens Combattants, ils n’ont certainement pas été libérés.
Bobards Beaucoup de racontars, ou bobards, circulaient régulièrement dans le camp, au début surtout, où nous n’avions rien (d’autre) à faire. Tous les sujets y passaient. J’ai cité précédemment l’histoire du cantinier décapité à la hache ! Les principaux bobards concernaient les libérations partielles et les évasions. On aimait les évasions rocambolesques. Je n’ai jamais attribué beaucoup d’importance aux bobards concernant les libérations, sauf celui concernant la libération des Pupilles de la Nation, car j’étais intéressé ; cela me paraissait plausible de permettre aux enfants des victimes de la guerre 14/:18 de venir en aide à leur mère . Mais le bobard se dégonfla comme la plupart des autres.
Évasions
Je réserve pour la fin ce sujet, les évasions constituant, avec les libérations partielles, les évènements importants dont tout le monde parlait Chaque évasion donnait lieu à beaucoup de commentaires, on donnait
de plus en plus de détails croustillants ! Ces évasions étaient individuelles ou collectives, suivant les moyens
mis en oeuvre et les objectifs des candidats. Plusieurs voies ont été utilisées :
Epilogue Voilà en détail, peut-être avec trop de détails aux yeux de certains de mes lecteurs, ce qu’a été ma vie d’officier prisonnier de guerre pendant 15 mois. Je précise bien que j’ai raconté « ma vie » au camp et non celle du camp. Il y a des sujets importants que je n’ai pas abordés parce qu’ils n’ont eu aucune relation avec ma vie personnelle. J’ai été mis en congé de captivité fin septembre 41, avec d’autres officiers de l’OFLAG II D et des autres OFLAG, en tant qu’ingénieur des Houillères françaises. Par bonheur j’avais été embauché par la Compagnie des Mines de Courtières dès ma sortie de l’Ecole de Mines, mais mon service militaire avait été prolongé jusqu’à la guerre. Embauché en juillet 37, je n’avais donc pas encore mis les pieds aux Mines de Courtières avant septembre 41 Mais comme j’étais déjà inscrit dans le personnel, je faisais partie de la liste des ingénieurs réclamés par les Compagnies pour assurer dans de meilleures conditions, ne serait-ce que les conditions de sécurité, le fonctionnement des Mines de charbon françaises. Il est certain que la captivité avait absorbé un nombre important d’ingénieurs, et que cela nuisait au bon fonctionnement des exploitations. Lors de leurs pourparlers avec l’autorité allemande, les Directeurs des Compagnies avaient pris contact avec les familles de leurs ingénieurs prisonniers. C’est pourquoi Monsieur DEFLINE, Directeur de Courtières s’était présenté place Wagram chez Tante Jeanne et Oncle Paul pour savoir où j’étais et expliquer les raisons de son intervention. Vous imaginez la joie de ma famille ! Certains se sont posés un cas de conscience : le retour des ingénieurs à leur poste dans les Mines n’allait-il pas permettre d’augmenter la production et donc les livraisons de charbon à l’ Allemagne ? A mon avis on pouvait aussi bien dire que cette augmentation éventuelle de production profiterait aux Français. Je ne veux donc pas ici m’engager sur une telle polémique et sur la politique de l’époque Ceux qui sont restés ont été déménagés à l’OFLAG II B en mai 42, et y ont vécu presque 3 ans. Lors de la débâcle allemande, en 1945, ils ont beaucoup souffert ; ils ont dû quitter le camp fin janvier à pied, par grand froid et sous la neige ;leur pérégrination a duré en moyenne 2 mois. Très mal nourris, gelés par le vent glacial des plaines de l’Allemagne du Nord, obligés de passer par des routes secondaires ou des chemins de terre au lieu des grands axes réservés aux troupes allemandes, ils sont arrivés en vue du front ouest dans un état de santé déplorable. Le groupe de départ s’est dispersé au gré des circonstances, l’odyssée de l’ensemble s’est transformée en vagabondages individuels. Ils ont été recueillis par la Croix-Rouge et soignés . Je comprends qu’ils aient pu écrire que la vie courante au camp avait été une « vie bourgeoise » par rapport à l’enfer du retour Certains ont préféré se diriger vers l’URSS, mais, comme pour les évadés des années précédentes, leur pérégrination a été pire encore que celle du lamentable troupeau qui regagnait l’Ouest. Notre retour, à nous privilégiés mis en congé de captivité, s’est effectué par chemin de fer, dans des conditions acceptables, d’autant plus acceptables que nous étions très joyeux, jusqu’à CHALONS-sur MARNE, où nous avons été démobilisés le 25 septembre. Nous étions « encadrés » pendant tout le trajet de retour, mais il s’agissait plutôt de « guides » que de gardiens, car nous n’avions aucune envie de nous évader ! Puis nous avons dû rejoindre la caserne d’ARRAS, et enfin BILLY-MONTIGNY pour le contingent des Mines de Courrières (Empouy, Pinsard, Boca ...et moi).Tout cela dans un nuage, dont je ne me souviens plus les détails. Je n’ai encore eu aucun contact avec Marie-Jeanne, Tante Jeanne, ou Oncle Paul, mais tout cela va s’arranger. C’est la fin de ce que j’ai appelé la « période douloureuse » de ma vie. J’ai confiance, enfin va commencer la « période heureuse ». SCEAUX (Hauts de Seine) - Septembre 2006 |